La plaque Esther Levy et David Selinger

Biographies fournies par Madame Postic, historienne

Esther Levy

Esther Lévy est née le 2 février 1911 à Constantinople. Elle est la plus jeune des enfants de Jacob et Mazalto Lévy. En 1927, la famille arrive à Marseille, puis rejoint à Paris le fils aîné, Bohor, arrivé en France un an plus tôt. La deuxième fille Lévy, Léa, mariée à Maurice Kaufman, vit, elle aussi, à Paris.

Bohor et sa femme Prossiadi ont deux enfants. L’ainée, Mazalto, est née à Constantinople en 1925. Jacques, leur fils, nait à Paris en 1928.

La famille s’installe dans le XXe arrondissement, mais travaille dans le Sentier, où une forte communauté juive commerce dans les tissus. Survient la crise de 1929, les affaires marchent moins bien. La fille aînée de Jacques et Mazalto, Bertha, est mariée à Avram Hatem. Un frère de ce dernier, marié à une finistérienne, vit à Quimper. C’est donc en Bretagne que les familles Lévy et Hatem décident de s’installer.

Bohor Lévy et Avram Hatem sont commerçants ambulants. Le premier vend du tissu, le second de la bonneterie.

Les deux familles arrivent à Morlaix en 1936. Les trois générations Lévy vont résider 7 Grande Venelle, au pied du viaduc.

Esther, le dernier enfant du vieux couple, est couturière.

Les affaires marchent bien, l’intégration des deux familles parfaite. Un premier drame survient en 1937 avec la paralysie que frappe Jacob Lévy et l’immobilise désormais. Il a 68 ans.

En janvier 1941, est notifiée à Bohor Lévy et Avram Hatem l’interdiction de « déballer sur les foires et les marchés », première étrape, pour eux, de l’«aryanisation de l’économie », autrement dit de leur spoliation. Un représentant de commerce de Morlaix, nommé commissaire-gérant de leurs commerces, est chargé d’évaluer les deux affaires, évaluation qui conduit les autorités préfectorales à autoriser « la cession des marchandises au prix d’inventaire, au profit du vestiaire du service des évacués du département ».

Les sept personnes de la famille vont désormais vivre avec la seule aide financière d’un mince subside. Les Lévy quittent la Grande Venelle à la suite du bombardement en janvier 1943 et emménagent 95 rue Gambetta.

Le 11 octobre 1943, la sureté allemande de Brest se présente au domicile des Lévy. Ce matin-là, Bohor et sa femme sont en ville. Leur fils Jacques joue au ping-pong dans un patronage voisin. Le grand-père est alité. La jeune Mazalto parvient à fuir par une fenêtre, se précipite à la gare toute proche et prend un train pour Paris où elle rejoint sa tante Léa.

Une vieille dame, Melle Cueff, locataire de l’immeuble, en dépit de ses difficultés à marcher, va avertir le jeune Jacques de la descente de police et l’enjoint de prévenir ses parents. Par l’intermédiaire du docteur Quiniou, le couple et leur fils sont conduits par un boulanger de Plourin, François Le Lay, à Trémel, dans une mission protestante où ils resteront cachés par le pasteur Guillaume Le Quéré jusqu’à la Libération.

Esther est arrêtée.

Joseph Le Lourec, longtemps voisin des Lévy, Grande Venelle, est « secrétaire de police » au commissariat. Il va tenter d’aider Esther, l’assurant qu’il laissera une porte ouverte le soir pour qu’elle puisse s’enfuir.

Le lendemain matin, Esther est toujours là. A Joseph Le Lourec qui s’alarme, elle déclare ne pas avoir voulu fuir « comme une voleuse ».

Esther Lévy est internée à Rennes pendant près d’un mois et demi. Elle arrive à Drancy le 25 novembre comme le prouve sa fiche, qui précise qu’elle dépose au bureau des fouilles la somme de 3 462 francs (environ 700 €). Considérée dans un premier temps comme « non déportable » car turque, « nationalité protégée » alliée de l’Allemagne nazie, cette « protection » lui est déniée quelques semaines plus tard.

Esther Lévy est déportée à Auschwitz par le convoi 66, le 20 janvier 1944.

Dans ce convoi de 1 155 personnes, 864 sont gazées dès l’arrivée le 23 janvier. Seules 55 femmes sont sélectionnées et entrent dans le camp. Des 47 survivants à la libération du camp, en janvier 1945, seulement 15 femmes.

David Selinger

David Selinger est né le 28 octobre 1893 à Chrzanow, au sud-est de la Pologne.

Il est le fils de Mendel Selinger et Geneti Seifman. Mendel est veuf de Szyfra Rosenberg.

David arrive en France en 1919, il a 26 ans. Pendant quelques années, il semble hésiter entre une installation à Paris ou à Brest, son demi-frère Moses y étant fourreur, propriétaire du « Tigre royal ». En 1926, David Selinger ouvre un magasin-atelier de fourrure, « L’ours blanc », à Morlaix, 4 rue Gambetta.

Le 26 janvier 1941, une note du préfet du Finistère aux sous-préfets marque le début de la procédure d’application de l’« aryanisation de l’économie » dans le département. Il s’agit d’« éliminer l’influence israélite de l’économie nationale ». Trois commerces morlaisiens, appartenant à Jacques Levy, Avram Hatem et David Selinger sont visés.

Un commerçant de tissus morlaisien est chargé de la gérance du magasin de David Selinger, en avril 1941. Au vu de son rapport, le Service du contrôle des administrateurs provisoires propose la liquidation de l’affaire « qui ne semble pas utile à l’économie générale du département ». Les scellés sont posés sur le magasin, suivra l’inventaire des locaux et du stock effectué par le commissaire de police. Le rapport précise qu’il ne reste que « quelques articles défraichis ou démodés […] difficilement négociables en raison de leur valeur minime ».

Le 15 septembre l’affaire est cédée à un commerçant « aryen », fourreur brestois replié à Morlaix.

Le 8 octobre 1942, le préfet régional avertit le préfet du Finistère que « suivant les ordres des Autorités occupantes [il doit] faire arrêter d’extrême urgence et diriger sur Rennes au Centre d’Accueil avant le 10 courant, les Juifs dont les noms suivent ». Ce sont 12 adultes et 3 jeunes enfants, tous étrangers, qui sont concernés par cet ordre. Le chef d’escadron, commandant la compagnie de gendarmerie du Finistère, rend compte le 10 octobre de la bonne exécution de l’ordre reçu, précisant que 9 personnes sont parties par le convoi de Brest via Morlaix à 8 heures du matin. David Selinger fait partie de ce convoi.

 

Cette rafle des 9 et 10 octobre s’inscrit dans la suite de la grande rafle du Vel’ d’Hiv, des 16 et 17  juillet 1942. Au moment du bilan comptable de cette rafle, le nombre des arrestations opérées n’atteint pas celui des engagements passés entre Dannecker, qui dirige la Gestapo parisienne, Röthke, chef du « service juif » de la SS, et Bousquet, chef de la police de Vichy, son adjoint Leguay, ainsi que Darquier de Pellepox, commissaire général des questions juives. Parce que le chiffre de 13 152 personnes arrêtées, dont 4 115 enfants, est inférieur aux 22 000 juifs de la région parisienne négociés, des arrestations « complémentaires » sont donc programmées ces deux jours d’octobre dans toute la zone occupée.

Les Finistériens arrêtés arrivent à Drancy le 15 octobre. Le mercredi 4 novembre, 8 d’entre eux sont déportés par le convoi 40 pour Auschwitz. David Selinger a 49 ans.

Dans ce convoi de 1 000 personnes, 639 sont gazées dès leur arrivée. Sur les 269 hommes et 92 femmes sélectionnés, seuls 4 hommes survivront en 1945.